Dans le cadre de leurs recherches, les scientifiques produisent des données. Les décideurs peuvent s’en servir pour légiférer. Entre les deux, les médias essayent de faire le lien. Comment ces acteurs communiquent-ils entre eux ?
L’accès à la connaissance scientifique est essentielle pour que les citoyens, médias et politiques s’emparent efficacement des enjeux de notre société. C’est d’autant plus vrai lorsque l’on aborde la problématique des pollutions chimiques de l’eau potable. Dans certaines situations, la parole des scientifiques est très encadrée, tout comme la publication des résultats de leurs travaux. C’est le cas à Rennes, où le LERES (Laboratoire d’étude et de recherche en environnement et santé) réalise des contrôles de la qualité de l’eau potable distribuée aux ménages bretilliens pour l’ARS Bretagne (Agence régionale de santé). Pratiquant la recherche appliquée, le laboratoire ne peut pas communiquer directement sur les résultats, puisqu’ils appartiennent à l’institution qui passe commande avec “des moyens de communication qui sont prévus à l’avance dans le contrat”, comme l’explique Vincent Bessonneau, directeur du LERES. Mais il tempère : “S’il y avait un sujet qui nous posait clairement question niveau éthique, je pense qu’on trouverait des moyens pour que l’information sorte.”
De la recherche à la presse
Pour le reste, les équipes du LERES ont tout de même la possibilité de collaborer avec les médias. Vincent Bessonneau explique entretenir des relations “avec la direction de la communication qui s’appuie sur un réseau de médias locaux. Ça peut aider à éclaircir un sujet, poursuit-il. Mais ça reste sporadique.”
Pour Céline Pelosi, chercheuse spécialisée dans l’agroécologie des sols à l’INRAE, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, à Avignon, les contacts avec la presse sont plus fréquents. Pour informer le grand public avec lequel les chercheurs n’ont “pas beaucoup de lien”, elle s’engage à “répondre aux sollicitations de la presse”, même si tous ses collègues ne le font pas, précise-t-elle. Elle a ainsi des échanges réguliers avec des quotidiens régionaux (Nice-matin), des émissions télévisées (E=m6) ou des journaux télévisés (TF1). Mais elle insiste sur sa démarche d’initiative : “Je ne suis pas trop approchée par la presse, c’est plutôt à moi de faire le premier pas”. Sur sa liberté d’expression, les choses sont claires : “Aucun souci pour parler de nos recherches”. Pas même besoin d’avoir l’autorisation de la cellule communication de l’institut pour parler aux journalistes.
Si pour la chercheuse, les interventions médiatiques sont nombreuses, elle interroge néanmoins la qualité de restitution de ses propos par la presse généraliste. Selon elle, les médias demandent aux scientifiques “de simplifier presque à l’extrême” leur propos pour être compris du grand public. “Et nous ça nous gêne, les scientifiques” précise la chercheuse qui redoute “de tomber dans le scientifiquement inexact”. La situation est différente avec les médias plus spécialisés avec lesquels elle a pu collaborer, notamment Sciences et vie. “Ils ont un autre regard que la presse généraliste”, assure-t-elle.
Muriel Valin est la rédactrice en cheffe adjointe d’Epsiloon, un magazine d’actualité scientifique. Elle a fait des études d’ingénieur avant de rejoindre une école de journalisme. Tout comme la grande majorité de ses collaborateurs, qui sont presque tous passés par une formation scientifique : biologie, mathématiques… Une culture qui se retrouve bien dans les pages du mensuel : comptez une centaine de chercheurs interrogés en moyenne par numéro.
“Les publications scientifiques sont notre matière première” explique la journaliste qui précise sa méthodologie : “Pour une enquête, je suis allée regarder toutes les publications relatives à ce sujet. À partir de ça, je vais contacter leurs auteurs et d’autres chercheurs qui ont participé à des conférences pour croiser les sources”.
“Des sources un peu décodeuses”
Mais les médias de vulgarisation scientifique comme Epsiloon ne sont pas la norme, et le parcours d’étude des journalistes très différent. À la rédaction de Reporterre, Alexandre-Reza Kokabi est rédacteur permanent. “Le média de l’écologie” tel qu’il se définit, n’est pas sur une ligne éditoriale scientifique. Les journalistes, qui traitent de sujets à dominante environnementale sont pour la plupart issus d’écoles de journalisme classiques. Alexandre-Reza Kokabi raconte : “Mes collègues se spécialisent selon leurs intérêts. C’est plus par affinité que par des études particulières.”
Pour apporter un éclairage scientifique à des journalistes qui n’ont pas forcément d’expertise sur un sujet, une solution a été trouvée : “Tu as toujours des sources un peu décodeuses, qui connaissent bien quelque chose que tu ne connais pas.”
Si les premiers lecteurs de ces journaux sont issus du grand public, il arrive que les papiers se frayent un chemin jusque dans l’hémicycle. “Je sais que sur les questions des forêts, ça nous arrive quelque fois d’être cités [par les parlementaires]”, se souvient le rédacteur.
L’objectif : participer au débat public
Tant pour les chercheurs que pour les détenteurs d’une carte de presse, participer à la vie publique reste un privilège. “C’est à ça qu’on mesure à quel point on pèse, parce que le but, c’est que nos informations aboutissent à quelque chose”, se félicite Alexandre-Reza Kokabi.
Les chercheurs interrogés ont aussi l’occasion de présenter leurs travaux aux élus. Vincent Bessonneau, du LERES, entretient des liens nourris avec plusieurs députés comme Jimmy Pahun, Anne Cécile Violland ou Sandrine Josso. Il participe régulièrement à des réunions de travail pour apporter une expertise sur l’impact des polluants sur la santé aux législateurs.
“Pour choisir le scientifique à auditionner, on passe par son institution de rattachement et on regarde les parutions”, explique Aurélie Lecointre. Elle est l’une des assistantes parlementaires de la députée des Côtes-d’Armor (circonscription de Guingamp) Murielle Lepvraud.
Mais ces interventions ne sont pas toujours suivies d’effets. Céline Pelosi a été invitée en 2018 au parlement européen “dans le cadre d’une conférence sur l’utilisation durable des pesticides” à l’initiative de l’association PAN (Pesticide action network). Elle a également été auditionnée par l’Assemblée nationale en juillet 2023 pour une enquête d’impact des pesticides sur la santé humaine et environnementale. En 2014, elle a alerté la presse après une étude qu’elle a menée en amont des mises sur le marché de pesticides. Elle regrette que ses conclusions n’aient “jamais été reprises par les décideurs”. Pourtant, elle assure que L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a relayé le problème jusqu’au pouvoir exécutif : le ministère de l’agriculture. Sans effet. L’accès et la diffusion de la connaissance scientifique sont cruciaux, mais ils ne garantissent que les décideurs politiques les transforment en actes.