Du pompage à la distribution, l’eau suit un parcours coûteux afin d’être dépolluée, traitée et potabilisée. Chaque acteur a un rôle, mais qui paye quoi, et où va l’argent ?
Comprendre ce que l’on paye en réglant sa facture d’eau ne coule pas toujours de source. Comment l’eau du robinet est-elle financée et par qui ? Pour mieux comprendre, prenons l’exemple de la facture d’eau des usagers du syndicat d’eau Traou Long-Goas Koll, réunissant dix communes du sud Trégor. Pour ce territoire, la facture d’un foyer moyen est de 385,57 €.
Cet argent est réparti entre les différents acteurs qui interviennent dans le cycle humain de l’eau. 43 % de la facture financent le syndicat d’eau Traou Long-Goas Koll, qui, avec son budget de 2,82 millions d’euros, investit dans des infrastructures et participe financièrement à la gestion et au fonctionnement des usines de traitement de l’eau. 38 % financent ce gestionnaire, ici la Saur, en contrat de délégation de service publique avec le syndicat. Pour l’intendance quotidienne des usines de pompage et de traitement de l’eau, la Saur a dépensé 63 000 € de produit de traitement et 161 259 € d’électricité l’année dernière. 3,9 % de la facture sont reversés au syndicat départemental d’alimentation en eau potable (SDAEP). Ce regroupement n’est pas obligatoire mais permet une meilleure interconnexion des réseaux d’eau. Cela facilite les dilutions en cas de dépassement des seuils réglementaires afin de maintenir l’approvisionnement en eau potable. Enfin, 11,5 % du prélèvement financent l’agence de l’eau Loire-Bretagne.
Quel est le rôle de l’agence de l’eau ?
L’agence de l’eau est l’établissement public de gestion de l’eau. Pourtant, celle-ci ne finance pas le traitement quotidien de l’eau, mais participe aux investissements des syndicats des eaux dans de nouveaux matériels et infrastructures. “Ils nous aident lorsqu’on veut bâtir un nouveau bassin de rétention de l’eau, rénover nos canalisations ou acheter des compteurs”, détaille Sandrine Trédan, secrétaire du syndicat d’eau de Traou Long-Goas Koll.
L’agence de l’eau mène aussi des politiques préventives auprès des acteurs polluants pour éviter la contamination de la ressource. Pascal Hervé, vice-président de la métropole de Rennes responsable de l’eau et des assainissements, le confirme : “Ils vont cofinancer des opérations d’animation auprès des exploitations agricoles pour faire évoluer les pratiques […], utiliser moins de pesticides, massifier l’usage du désherbage mécanique”.
Comme nous l’avons observé sur la facture des usagers de Traou Long-Goas Koll, l’agence de l’eau est financée en majeure partie par les particuliers qui représentent 62% des recettes de l’agence. Les redevances de l’agriculture n’en représentent que 13% alors que modèle agricole actuel est pourtant la principale source de pollution de l’eau selon l’OCDE : “Le ruissellement des engrais, l’utilisation de pesticides et les effluents d’élevage contribuent tous à la pollution des cours d’eau et des eaux souterraines.”
Des budgets très politiques
Actuellement, le budget de l’agence de l’eau Loire-Bretagne est plafonné à 372 millions d’euros par an. Ces financements sont négociés tous les 6 ans avec le gouvernement qui les définit dans un projet de loi de finance. Le jeu politique a un rôle prépondérant dans la définition de ce budget. Le maximum annuel fixé pour 2019-2024 a été baissé par rapport au programme d’actions précédent, pour “réduire les pressions fiscales” selon un rapport de l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Cette mesure s’inscrit dans un contexte national de baisse des impôts promise par le président Macron au début de son premier mandat. Il avait notamment déclaré au journal Les Echos qu’il “propose une politique fiscale plus réaliste, plus juste et plus équilibrée, avec des baisses d’impôts réparties équitablement entre ménages et entreprises”.
Faire des économies sur le traitement de l’eau est une décision qui interroge dans un contexte de crise écologique. Même si l’efficacité du plan Ecophyto (plan d’accélération du retrait des pesticides) était décriée par la Cour des comptes, son arrêt par le gouvernement suite aux manifestations agricoles risque de freiner les efforts en matière de réduction des pesticides, et donc d’altérer la qualité de l’eau. Ce plan représentait une large partie de la politique préventive de la pollution des eaux de l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Avec son arrêt, ce sont des pans entiers de la prévention de la pollution de l’eau de source agricole qui sont abandonnés. Notamment le plan Terre Saine, qui faisait partie d’Ecophyto, et prévoyait une baisse d’utilisation de pesticides dans les zones de prélèvement des eaux.
Les élus chargés de la gestion ressource et de la consommation s’alarment, comme Pascal Hervé : “C’est inquiétant. On mène tout un travail pour protéger les zones de captage, et il y a des décisions politiques qui sont prises à l’échelle nationale qui viennent à son encontre.” Président du syndicat de Traou Long-Goas Koll, Jean-Yves Le Corre n’est pas plus rassuré par les politiques mises en place. “Avec l’arrivée des Pfas, [Les “polluants éternels”, NDLR] il va falloir tester de plus en plus de molécules. Pour tout traiter, il va falloir investir. Il est quasiment sûr que l’agence de l’eau ne pourra pas nous aider.” Exaspéré, il souffle: “Le poids de la décontamination va peser sur les collectivités locales. Il faudra que notre budget tienne.”
Gweltaz Philippe, Louis Blanchard et Vincent Cottard